1 mois après son record sur le GR34, entretien, à froid, avec Erik Clavery

Le 20 mai dernier, Érik Clavery atteignait Saint-Nazaire après avoir parcouru, en courant, les 2 065 kilomètres du GR34, ce mythique sentier des douaniers qui longe l’ensemble du littoral breton, depuis le Mont-Saint-Michel jusqu’à l’estuaire de la Loire. Un exploit physique et mental, étalé sur 19 jours d’effort quasi ininterrompu, réalisé en autonomie relative, mais jamais seul. Entouré d’une équipe restreinte mais précieuse, porté par les encouragements de nombreux accompagnateurs venus partager un bout de chemin avec lui, Érik a mené ce défi avec une motivation profonde : mettre du sens à son aventure en la dédiant à la Ligue contre le cancer, et offrir son effort à une cause qui le touche personnellement.

Un mois après l’arrivée, que reste-t-il dans le corps, dans la tête, dans le cœur ? Quels souvenirs s’imposent, quelles leçons se dégagent d’un tel défi ? Dans cette longue interview, Érik Clavery revient avec lucidité, sensibilité et recul sur cette traversée hors normes. Entre introspection et transmission, il nous parle de liberté, de douleur, de partage et d’humanité. Une aventure sportive, bien sûr, mais avant tout une aventure profondément humaine.

Erik, tu as bouclé le défi consistant à parcourir le GR34, du Mont Saint-Michel à Saint-Nazaire, le 20 mai. 1 mois après, comment récupères-tu physiquement?

La récupération physique se passe super bien, étonnamment bien même! Les soins que m’a apportés Sandra, ma cousine kiné, qui m’a suivi pendant toute l’aventure m’ont permis de prendre soin de mon corps, et de mieux récupérer. Je m’en sors de façon incroyable! A part une douleur sous le pied, contractée les 7 / 8 derniers jours, liée à une contracture sous le pied au niveau de l’aponévrose, sans gravité, je n’ai pas trop souffert au niveau des pieds. Je me sens également bien musculairement. 

Après, il y a bien sûr une fatigue générale, liée à la dette de sommeil accumulée, qui est présente. Mais la récupération suit son cours. La fatigue mentale, émotionnelle, liée à l’après-course est également là. Mais je me réancre sur les bons moments, à l’image de la soirée avec les partenaires, les assistantes, les pacers, dont certains qui ont couru avec moi jusqu’à 300 kilomètres, pour pallier cette fatigue émotionnelle.

Instagram Erik Clavery

« Je ne les remercierai jamais assez les personnes qui m’ont accompagnées, parce que sans elles, je ne serais peut-être pas allé au bout. »

Quelles sont les images, les souvenirs, les sensations, qui te viennent spontanément quand tu repenses à cette grande aventure?

Des images de paysages magnifiques, mais surtout des rencontres humaines! De belles amitiés naissantes et en devenir, ont été faites. Certaines sont liées à la maladie, puisque j’ai couru pour soutenir la Ligue contre le cancer, ou plus simplement des rencontres sportives, avec des gens passionnés, bienveillants, humains.

En effet, tu as couru avec beaucoup de monde autour de toi, avec beaucoup de suiveurs. Est ce que cela a pu être une difficulté, en terme de fatigue engendrée, d’énergie laissée par le contact que cela nécessitait?

Non, pour plusieurs raisons. Premièrement, c’est ce que je recherchais! Je les ai accueillis avec plaisir. Et puis les gens sont venus avec bienveillance. Ils me laissaient dans ma bulle, comprenaient quand je ne pouvais pas, ou ne souhaitais pas parler. Et puis ces moments ont également été l’occasion de belles rencontres entre les personnes qui sont venues m’accompagner. C’était fluide, même quand j’avais jusqu’à 60 personnes autour de moi. Il transpirait un esprit de groupe, une belle mentalité, avec des gens heureux d’être là. Pour échanger quand c’était possible, ou pour m’accompagner, tout simplement. Je ne les remercierai jamais assez, parce que sans eux, je ne serais peut-être pas allé au bout. Ce qui est beau, c’est que beaucoup d’entre eux sont restés 2, 3, 5 fois plus longtemps que ce qu’ils avaient prévu! Parce qu’il n’y avait pas de contrainte: découvrir, accompagner, sans pression, juste pour le plaisir d’être en nature.

Est ce qu’un moment en particulier a été difficile?

Il y en a eu plusieurs! Jamais au point de me dire que j’allais arrêter, parce que mes motivations étaient claires! Vers Plougastel-Daoulas, par exemple, au fond de la rade de Brest, les pistes étaient plus monotones, avec plus de bitume, on rentrait davantage dans les terres. Une grosse fatigue, après 7 jours environ, était présente, puisque j’ai mal dormi les premiers jours: mentalement, c’était dur. A ce moment-là, oui, c’était compliqué. J’arrivais à un point de fatigue extrême qui nous a contraint à nous adapter en allongeant les nuits. Cela a été bénéfique! Psychologiquement, il y a eu d’autres moments difficiles, puisque la Bretagne est ainsi faite que l’on peut parfois courir 50 kilomètres pour revenir quasiment au même point, à vol d’oiseau. Parfois également, comme autour d’Ambon, on s’éloigne du trait de côte, pour entrer dans les terres, et là c’est délicat mentalement. Mais je reviens sur l’aspect de la motivation: je sais pourquoi j’étais là: pour faire le tour, pour arriver au bout de ce GR34, alors peu importe le chemin!

Le GR34, pour toi qui est normand, et qui vit maintenant dans les vignobles nantais, était une évidence. Réaliser une trace qui fait sens, qui nous parle, c’est aussi une des clés de la réussite?

Oui, complètement! Mettre du sens derrière la trace que l’on fait, c’est capital, et c’est une évidence. Quand j’ai couru le GR10 dans les Pyrénées, cela me rappelait mon enfance, quand j’allais y faire de la randonnée. Même chose pour le GR34: c’était un clin d’œil à ma vie, puisque je suis né près du Mont Saint-Michel, et que j’habite en Loire-Atlantique. La Bretagne est magnifique, j’y ai découvert des coins fabuleux, comme le Nord-Bretagne. Je voulais redécouvrir plus précisément cette Bretagne authentique, variée. 

Comment avais-tu préparé et planifié le parcours?

Je n’avais pas fait de repérage, car le but était la découverte. Je travaille sur des stratégies plus globales en termes de planification d’étapes. La performance est un vecteur de motivation important, mais je n’en fais pas une obsession au point de connaître par cœur le parcours. J’ai en revanche échangé avec Olivier Mével, qui a couru le GR en 40 jours, qui m’a donné les points délicats et les caractéristiques du terrain. Mais on se rend compte que les points délicats pour les uns ne le sont pas pour les autres. Je reprends l’exemple de la rade de Brest: on aurait pu me dire que c’était roulant, que c’était de la route, et pourtant c’est là que j’ai le plus souffert! Cette description du parcours m’a permis de planifier mon parcours, de connaître les dénivelés, les zones techniques. Je savais à quoi m’attendre, mais je n’avais pas tous les détails, et tant mieux!

Parce que sur une épreuve aussi longue, aussi engageante, le plaisir reste, j’imagine, le premier carburant. Ne pas tout connaître du parcours va dans ce sens?

Le plaisir est fondamental, tu as raison. Après, optimiser ou non la préparation, par de la reconnaissance du parcours, est propre à chacun. Je le vois en étant préparateur mental: chacun trouve des leviers de motivation et de performance différents. Moi, ce n’était pas le cas pour moi: l’aventure, pour moi, c’est la découverte. C’était ma façon d’appréhender le défi!

Tu as un palmarès impressionnant en trail, tu as été champion du monde, tu as fait des TOP10 sur les plus grandes courses comme l’UTMB ou la Diagonale des Fous. Pourtant, j’ai l’impression que ce défi, ou celui que tu avais réalisé sur le GR10, viennent avant dans ta “boite à souvenirs”. Est-ce exact?

C’est juste différent. Je fais un parallèle avec les gens qui m’accompagnaient sur le GR34, des locaux le plus souvent. Tous les jours, on me disait: “on va arriver dans le plus beau coin de Bretagne!” C’est juste une question de point de vue: tout est magnifique. Je ne peux ni te dire que le titre de champion du monde est plus beau que le GR34, ni l’inverse: ce sont des choses différentes. Comme une bibliothèque d’images, d’émotions. 

Mais le trail, c’est pour moi avant tout la liberté. C’est pour cela que j’aime ces “offs”, hors des contraintes de dossard, d’organisation, de ravitaillements planifiés etc. Ma seule contrainte, sur le défi, était de suivre le balisage blanc et rouge du GR. Pour le reste, je mangeais où et quand je voulais, je m’arrêtais où et quand je voulais: j’étais libre, je n’avais qu’à profiter! Profiter de l’effort, des émotions, des paysages, des gens qui étaient avec moi. C’était ma liberté! Et dans la vie de tous les jours, les moments de liberté sans contrainte ne son pas si fréquents! Parce qu’on a plein de contraintes! La société nous propose de plus en plus de confort, qui nous donnent au final des contraintes. Je prends l’exemple du téléphone, qui est un confort. On devient en contrainte face à son utilisation, à la présence sur les réseaux sociaux, etc. 


« Le mental, ce n’est pas “on l’a ou on ne l’a pas”, surtout pas ! Cela s’acquiert. »

Parlons de l’aspect mental du défi. Autant sur l’aspect physique, ton background de sportif de haut niveau t’as permis de bien récupérer, autant l’aspect mental a été la clé de la réussite du défi, n’est ce pas?

Oui, clairement. Comme tu le dis à juste titre, ce n’est pas la préparation physique des derniers mois qui compte, mais mon vécu sportif accumulé ces 20 dernières années! D’ailleurs, j’étais apte à courir à 10 / 11 km/h sur le plat, sur des tronçons de 10 kilomètres dans le Morbihan sur les dernières étapes. Je m’étonnais moi-même! Mais c’était mon allure naturelle. Donc le physique était là. Mais c’est le mental qui compte! C’est le mental qui permet d’avancer, de se relancer. Je savais que j’étais apte physiquement. Mais avoir l’abnégation pour repartir le matin, pour réenclencher, ça c’était dur! Ressortir du lit après une nuit de 4 heures, quelle difficulté! 

Comment définis-tu la préparation mentale?

C’est un entraînement mental. Les gens pensent toujours d’abord à prendre un coach physique, car ils perçoivent bien le potentiel d’évolution de leur condition physique. Mais se disent, en parallèle “le mental, j’ai celui que j’ai” par fatalité. Mais c’est une grosse erreur! Le potentiel mental se développe, se travaille, par des outils concrets, afin de développer l’aptitude mentale. Cela permet d’atteindre des objectifs qui auraient pu paraître irréalisables. Le mental, ce n’est pas “on l’a ou on ne l’a pas”, surtout pas! Cela s’acquiert.

Comment travailles-tu pour ancrer des béquilles mentales?

Je travaille sur des outils concrets, très variés en fonction des personnes. Notamment des outils de visualisation, des outils liés à la respiration, sur des protocoles concrets, “terre à terre”. On matérialise ce travail par du concret, dans un outil « recueil ». Cela permet une grande autonomie aux personnes, car elles peuvent mettre concrètement en pratique. On travaille également sur plusieurs éléments potentiels: l’émotion, l’estime de soi, l’énergie, la motivation, la concentration, la communication. On a une approche différente en fonction de chaque personne.

Tu as adossé ton défi à une œuvre caritative, en l’occurrence en soutenant la Ligue contre le cancer. C’était, au-delà de l’aspect caritatif, une béquille mentale que de courir pour une cause, et pas simplement pour soi?

Oui, une béquille énorme! C’est la clé de ma réussite sur ce projet, sans aucun doute. J’ai reçu énormément de messages de personnes touchées par la maladie, de personnes qui faisaient l’effort de venir me voir, qui me disaient que j’étais une source de motivation pour se battre contre la maladie, que j’étais une lumière dans leur parcours de soin… Quand on me dit ça, je ne m’imaginais même pas arrêter, pas une seconde! Je ne voulais surtout pas les décevoir: eux se battent contre la maladie, et moi je m’arrêterais de courir parce que ce serait trop dur, alors que j’ai la chance de pouvoir le faire? C’était impossible! Cela a été l’un des ancrages mentaux que j’ai constamment utilisés. A chaque moment difficile, je m’ancre là-dessus: “tu y vas, même si tu es fatigué, parce qu’il y a des gens à qui tu apportes quelque chose”. Et puis cela a permis également de reverser près de 15.000€ à la Ligue contre le cancer, ce qui est une fierté.

J’imagine que Pascal Balducci, qui est le coach qui t’a accompagné durant ta carrière de sportif de haut niveau, disparu du cancer, a été très présent dans tes pensées?

Bien sûr, j’y ai pensé, il compte énormément pour moi. Néanmoins, je n’ai pas envie de tout recentrer autour de lui, car ce n’est pas ce qu’il aurait souhaité. Mais j’ai eu MON moment pour lui, un moment que j’ai voulu lui dédier. C’était un coucher de soleil, le seul soir où je me suis arrêté de courir avant le coucher de soleil. J’y tenais, c’était à la pointe de Corsen, le point le plus à l’ouest de la Bretagne, et de la France Tout à l’ouest, au soleil couchant! Un beau moment, une belle dédicace. Le moyen de lui dire au revoir. 

Un autre appui, très concret, a été ton équipe d’assistance, composé de ta femme et d’une de ses cousines, kiné. 

Oui, elles ont fait preuve d’une grande générosité, elles ont abattu un travail énorme, et cela a été fondamental pour moi. Elles ont fait un boulot énorme, car la logistique était très importante. Je les voyais tous les 10 kilomètres. Ma cousine me massait 12 à 13 fois par jour, ce qui m’a permis d’entretenir mon physique et d’aller de l’avant.

Se sont-elles préparées, elles aussi, sur l’aspect mental. Que dire, à quel moment… Cela nécessite une préparation, n’est ce pas?

Pas spécialement, car elles me connaissent évidemment très bien. Pendant l’aventure, on se disait les choses. Mais avec beaucoup de bienveillance. Sur une épreuve aussi longue, c’est important. Elles envers moi, mais aussi moi envers elle, car elles s’investissent à fond et qu’elles sont là pour m’aider. Donc, même dans les quelques cas où il y a pu avoir un peu de tension, quelques paroles un peu crues, je sais que quand je pars du ravitaillement, j’ai une heure et demie devant moi pour faire baisser la tension. Dans l’aventure, il y a la liberté, mais il y a aussi l’adaptation. Sur 19 jours, tu ne peux pas tout prévoir: la météo, le parcours, tout peut changer. C’était la même chose humainement. 

Adaptation, résilience, acceptation de la douleur, ce sont les clés mentales?

Oui, c’est ça. L’acceptation de la douleur, c’est important. Les 8 derniers jours, avec l’aponévrose plantaire, et des douleurs aux muscles releveurs, ont été inconfortables. Mais les douleurs sont éphémères, je sais les relativiser, et l’accompagnement de la Ligue contre le cancer met encore davantage en lumière l’importance relative de ces douleurs, au regard de la situation de certains malades. 

Fondamentalement, qu’as tu appris de ce défi?

D’abord ma faculté à pouvoir courir sur les derniers jours, presque de façon automatisée, mécanique. Cela  m’a surpris, même si je sais que le corps humain est une machine exceptionnelle, qu’il a des capacités d’adaptation et de résilience monstrueuses. Cela m’a conforté dans cette idée. 

Mais j’ai surtout beaucoup appris sur les autres. Par exemple, les gens qui m’accompagnaient me prévenaient souvent de difficultés sur le parcours, bien qu’elles le faisaient avec bienveillance, pour m’aider. On me disait parfois: “il va y avoir du sable, donc cela va être dur.” Je ne trouvais pas, puisque le sable m’imposait la marche, et que je trouve plus facile de marcher que de courir. Une difficulté pour quelqu’un n’en est pas une pour quelqu’un d’autre. Tout dépend donc du point de vue qu’on souhaite adopter! Cet aspect négatif de la vision des choses m’a amusé, parce que je m’y étais préparé. Mais cela aurait pu être destructeur pour des personnes mal préparées mentalement. 

Dernière question, quelles sont tes futures envies, tes futurs projets?

C’est en effet toujours à l’état de projet, et ce sera toujours dans la performance, pour l’instant: la Via Alpina. 2 300 kilomètres, sur tout l’arc alpin. Je le ferai toujours dans la notion de partage, et ce sera en duo avec Christophe Le Saux, avec qui on partage ce délire. Il m’avait proposé de faire la traversée du Népal, qu’on n’a jamais pu faire! Cela devrait être en 2027, quand nous aurons validé le budget et préparé le projet!

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