La KempeR’Ose, quand le sport devient une arme
Chaque année, la campagne Octobre Rose rappelle l’importance du dépistage du cancer du sein. Mais de plus en plus, le sport s’impose comme un allié décisif, à toutes les étapes de la maladie. Les études le confirment : selon la Fondation ARC, 21 % des cancers du sein sont liés à un manque d’activité physique. L’Institut national du cancer (Inca) estime que la pratique régulière réduit la fatigue liée aux traitements d’environ 25 %. Et après la maladie, plusieurs travaux montrent une baisse du risque de rechute de 30 à 35 % grâce à l’activité physique adaptée.
« L’activité physique est une composante essentielle de la prise en charge du cancer. Elle doit être personnalisée et adaptée », souligne le docteur Florian Scotté, chef du département interdisciplinaire des parcours patients à Gustave Roussy.
Le constat est clair : bouger sauve des vies. Pourtant, en France, près de 4 femmes sur 10 n’atteignent pas les recommandations de l’OMS en matière d’activité physique. Alors, comment passer de la théorie à la pratique ? C’est souvent sur le terrain, à l’échelle locale, que les choses changent vraiment. Et à Quimper, un mouvement bien particulier a vu le jour.
Quimper en rose
Dans la capitale cornouaillaise, l’histoire s’écrit en rose. Depuis 2019, la KempeR’Ose illustre cette mobilisation avec force. Derrière cette initiative, une femme : Isabelle Nuixe. Sa mère avait été touchée par la maladie, et elle-même participait déjà à des événements solidaires à Brest ou Lorient. Lassée d’attendre qu’un tel projet voie le jour à Quimper, elle a fini par retrousser ses manches. Elle fait appel à ses deux amies, Mélanie Bauchais et Pascale Charrier. Gilles Marchand et Xavier Le Coz viendront, plus tard, compléter le dispositif.
« On ne pensait pas rassembler autant, au début. On a commencé par un petit cocon de 1 200 personnes, place Saint-Corentin», raconte-t-elle.

Six ans plus tard, l’événement est devenu incontournable. Cette année, près de 12 000 participants sont attendus, vêtus du même t-shirt rose, pour un parcours de six kilomètres dans le centre-ville. Depuis la première édition, plus de 320 000 € ont été collectés, dont 111 000 € en 2024.
La force de la KempeR’Ose tient à son équilibre : une ambiance conviviale, festive, joyeuse, malgré la gravité du sujet. « On veut que les gens soient contents de venir, sans être oppressés », insiste Isabelle Nuixe. Mais derrière ce souffle collectif, il y a du concret , et notamment du matériel médical financé. Dernier achat en date, un appareil, premier du genre en Bretagne, installé au Pôle médical de Kerlic, capable de réaliser des angiomammographies, qui sont des techniques d’imageries innovantes. Un progrès majeur qui évite désormais aux patientes de se déplacer jusqu’à Angers pour leurs examens. Une machine de photobiomodulation, destinée à réduire certains effets secondaires des traitements, a également été financée.
Ce dimanche, la mobilisation sera impressionnante : 200 bénévoles s’activeront, un « village prévention » de 170 m² prendra vie avec 40 professionnels de santé. Conseils nutrition, ateliers d’autopalpation, séances de sport adapté, médecines douces… Cette année, yoga et art-thérapie seront mis à l’honneur. « On montre aux gens que bouger et bien manger, c’est essentiel », poursuit Isabelle Nuixe.

Au-delà des dons et du matériel, l’événement a su créer une véritable identité collective. Entreprises, institutions, familles, étudiants, sportifs… tous se retrouvent dans cette marée rose. Les femmes en traitement, elles, témoignent régulièrement de la force qu’elles y puisent. Mais parfois, le pouvoir du sport se joue aussi loin des foules, dans des parcours plus intimes.
Isabelle Magois : « Le sport m’a permis de reprendre le dessus »
C’est le cas d’Isabelle Magois. Son histoire illustre, à une échelle personnelle, ce que la science et la KempeR’Ose démontrent collectivement. Responsable logistique chez MerConcept, sur le projet SVR Lazartigue, elle a toujours mené une vie active, entre navigation, escalade, ski et alpinisme.
En janvier 2023, une mammographie de contrôle révèle un cancer du sein. Le diagnostic est confirmé par une biopsie en avril. En mai, elle subit une mastectomie. L’opération est un succès, rendu possible par une détection précoce.

Très vite, elle s’inscrit à un stage de l’École nationale de ski et d’alpinisme de Chamonix, qui recherche dans le cadre de la formation des futurs guides de haute montagne des clients “bêta-testeurs”, aptes à pratiquer les sports de montagne. Il aura lieu en aout, 3 mois après son opération. Ce défi la met en mouvement.
« Dès le lendemain de l’opération, je suis allée marcher. Quinze jours après, j’ai repris le vélo. Trois semaines après, je retournais à la salle d’escalade », raconte-t-elle.
Et si les médecins encouragent la pratique du sport, elle accélère sa reprise. Elle sera prête pour le mois d’août, et ses « journées de dix heures, en montagne, avec marches d’approche, escalade et courses techniques. Ce n’était pas facile, mais je suis arrivée en haut de toutes les voies. Je n’ai parlé de mon parcours, de mon opération, qu’à la fin du stage. Je ne voulais pas d’un programme adapté! »
De cette épreuve, elle tire une conviction intime : le sport n’est pas seulement une aide, il est devenu une base de vie. « J’ai encore plus envie d’en profiter. Ça m’a permis de me poser les bonnes questions. J’ai confirmé mon amour de la montagne. Et puisque pour y aller, il faut être préparée, je m’entraîne plusieurs fois par semaine. »
En 2024, elle fonde Ménez Roz, « Montagne rose » en breton, une association qui accompagne des femmes en rémission du cancer du sein vers les sommets. Cet été, dix participantes ont pris part à un séjour à Chamonix. « Avant de partir, aucune ne pensait en être capable. Elles ont toutes repoussé leurs limites. Le sport leur a redonné confiance. »

L’histoire continue : en juillet prochain, l’objectif sera le Mont Rose, à 4 215 mètres d’altitude. Un défi symbolique. La préparation est déjà lancée : randonnées, escalade à Crozon, fitness en mer, Pilates sur paddle. Pour Isabelle Magois, le message est limpide : « Le pouvoir du sport est exceptionnel. On est capables de beaucoup plus que ce qu’on croit, encore plus en tant que femmes. Et c’est souvent quand on n’a pas envie, que le sport est le plus bénéfique. »
Prévenir, soigner, renaître
De la force collective de la KempeR’Ose à l’expérience intime d’Isabelle Magois, une même vérité s’impose : le sport agit comme un fil conducteur à toutes les étapes de la maladie. Il prévient, il soutient les traitements, il limite les rechutes, il redonne confiance.
À Quimper, chaque foulée d’Octobre Rose, chaque sommet gravé par Ménez Roz, rappelle qu’au-delà des soins médicaux, l’activité physique est une manière de tenir le cap. Une arme, mais aussi une renaissance.